Exposition
Dadamaino
Le Consortium
Le Consortium et Natacha Carron, en tant que commissaire associée, organisent une rétrospective de Dadamaino, artiste italienne décédée en 2004 et dont une œuvre est actuellement montrée au Grand Palais, à Paris, dans l’exposition Dynamo, qui traite de l’art optique et cinétique des cent dernières années.
Communiqué de presse :
« Cette première monographie de Dadamaino (1930-2004) en France permet la réévaluation d’une œuvre importante, et resitue sa production originale au carrefour des tendances esthétiques majeures ayant traversé l’Europe de l’après-guerre. Dadamaino est contemporaine d’une émergence de mouvements avant-gardistes européens qui marqueront à jamais l’histoire de l’art. Qu’il s’agisse du premier manifeste du Spatialisme rédigé par Fontana en 1948, de la naissance des groupes N et T en Italie, du groupe Zéro en Allemagne, d’Equipo 57 en Espagne, du Groupe de Recherche d’Art Visuel (G.R.A.V.) en France, ou de la Nouvelle Tendance à Zagreb, Dadamaino est présente. Elle participe à tous ces courants sans jamais s’y attarder, mais au contraire pour s’en libérer aussitôt et poursuivre l’enrichissement de sa propre recherche plastique. À Milan, foyer de mouvements politiques virulents et extrémistes, c’est en tant que militante et non comme artiste qu’elle rejoint le parti communiste italien. Elle s’engage alors corps et âme en politique, l’autre passion de sa vie, collant des affiches, participant à de multiples actions propagandistes et se rapprochant de Mauro Rostagno, figure charismatique de l’Italie de l’époque. La rétrospective laisse apparaître le portrait d’une femme unique et complexe, solitaire et engagée, indépendante et inspirée, charismatique et masculine par ses prises de liberté entêtées.
Panorama Européen
L’exposition est née de l’accès à un patrimoine dadamainien exceptionnellement riche, rendu disponible par une communauté de collectionneurs et muséale très active. Ainsi Volker Feierabend, grand entrepreneur allemand et l’un des plus grands collectionneurs au monde de l’art italien du XXe siècle, sut reconnaître le génie de Dadamaino qu’il a soutenu à partir des années 90. Sa collection VAF-Stiftung, produit d’un travail de collecte intelligent et précis, se compose de plus de 1600 œuvres, déposées au MART (Museo di Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto) depuis 2000. Le VAF-Stiftung fournit un aperçu sans équivalent de presque tous les mouvements artistiques italiens du XXe siècle. Il faut également saluer la participation irremplaçable de l’Archive Dadamaino à Somma Lombardo et le support fondamental du comité scientifique composé par Flaminio Gualdoni et Stefano Cortina. La galerie A Arte Studio Invernizzi de Milan, incarnée par Epicarmo Invernizzi, constitue en outre une référence exceptionnelle pour les œuvres de jeunesse de Dadamaino. Enfin, la fondation Stiftung für konkrete Kunst de Reutlingen, Manfred Wandel et Gabriele Kübler qui furent des amis et collectionneurs très proches de Dadamaino, apportent une contribution essentielle par les ensembles uniques qu’ils ont conservés.
Biographie sélective
Depuis 50 ans, la plupart des écrits sur Dadamaino la montre comme une artiste intelligente et conceptuelle caractéristique de la seconde moitié du XXe siècle. Beaucoup d’études et d’écrits portent sur ses recherches. L’intérêt aujourd’hui est de trouver et de mettre en évidence un fil rouge à l’intérieur de son parcours : celui de la légèreté, de la tension vers le vide, la disparition, l’annulation, le zérotage, que Maino explore depuis les débuts, comme une tension convoitée mais libératoire. « J’ai toujours détesté la matière et j’ai toujours cherché l’immatériel. C’est comme si tu faisais une révolution, pas une révolution sanglante ou une guérilla, mais même celle-là si tu veux ». [1] L’important pour sa formation fut la découverte de l’œuvre de Lucio Fontana, dans une vitrine du centre de Milan, qui devint immédiatement le professeur idéal. On vient ainsi à créer un ictus profond avec tout ce qui avait été fait alors. La même année, elle voit à la Galerie Apollinaire une exposition des monochromes d’Yves Klein ; découverte qui devient fondamentale pour sa recherche. À la fin des années 50, elle rencontre les membres de la revue Azimuth créé par Enrico Castellani et Piero Manzoni, avec eux elle participe à une exposition de groupe dans la galerie du même nom. Manzoni avec lequel Maino a eu une relation amicale et de nombreux échanges.
Volumi
C’est au cours de ces années qu’apparaissent les Volumi, des formes elliptiques évidées dans la toile qui devient cadre pour l’espace. « Lorsqu’en 58, j’ai commencé à découper les toiles jusqu’à ce qu’il ne reste en vue que le cadre, il est certain que je me mettais en contradiction avec le type d’art pratiqué alors ». [2] Son geste est courageux, radical par opposition aux mœurs et au bon goût de l’époque portée sur la matière. Dadamaino déplace ces recherches sur le vide vers des feuilles transparentes, de plastique, de subtiles acétates, placées l’une sur l’autre, percées grâce une opération précise et méthodique, par intervalles réguliers, par une fustella. Cette apparente légèreté n’est pas synonyme de légèreté conceptuelle : ces nouveaux tableaux sont denses, vibrants, signifiants. On voit dès le départ un chemin calme, ponctué d’étapes, de résultats, d’arrêts, de méditation, de lenteurs pour arriver à l’absence ou au témoin d’une présence. Elle est fascinée par la transparence, l’utilisation de matériaux non pensés pour l’art. Après le lycée, elle s’est orientée vers la médecine. Son travail est nourri par une sensibilité scientifique, le goût des mathématiques lui permet de développer des réflexions analytiques, des modèles structuraux vers l’infini qui nourriront ses recherches jusqu’à la fin. 1962 est une date importante, c’est l’apparition des Objets optique/dynamiques. « À travers mes recherches optiques sur la lumière, j’ai dû entrer en formation pour apprendre différents corps de métiers. Préparés comme peintres nous étions des techniciens nuls, et pas seulement nous, mais les techniciens eux-mêmes. Nous leur donnions des matériaux absolument inédits que personne n’avait jamais expérimentés. En même temps, à la fin de 1962, j’ai dû me rapprocher des disciplines mathématique-scientifiques, toujours pour ces raisons. En étudiant j’ai entraperçu la majeure partie des possibilités de mon travail… je pensais donc faire un objet qui avec le mouvement réel développait le concept du mouvement infini, pas seulement, mais le mouvement infini de la lumière ». [3] Encore une fois Dadamaino sent le besoin d’alléger et réalise un court-métrage sur l’Objet, daté de 1965, qui sera présenté à l’exposition Nouvelle Tendance de Zagreb la même année. « Eliminer au fur et à mesure les matériaux et arriver à la pure idée ». [4] Sur ce chemin, les travaux qui se situent au plus près de cette idée sont les œuvres de l’Inconscient rationnel. « Il s’agit d’une écriture de l’esprit : faite de lignes denses et marquée heure par heure, imperceptible et sautillante, sans aucune volonté de programmation à priori, mais sensible à la pression de la main qui, libre, court et trace sans préméditation. Mais il est clair que si la main est guidée par l’esprit, dans ce cas c’est de l’inconscient. Le résultat est une levée de réticulums et d’espaces vides, que rien ne dérange, sinon l’harmonie ». [5] En 1976, elle réalise la Lettre à Tall el Zataar qui témoigne de son engagement politique et social. Il s’agit d’une réponse à la violence du monde, à un massacre où sont mortes trois mille personnes. Une réaction qui devient œuvre. « Dans un village étaient ramassés des milliers de Palestiniens… tous savaient qu’en Palestine se produisait un massacre… tout le monde le savait, était au courant… Personne n’a rien fait… Je croyais encore en l’Homme, en son destin possible, à sa Bonté […] J’ai écrit une lettre, où j’ai tracé sur des feuilles des signes sur un mode obsessionnel, en faisant des lignes, comme une invocation, comme un cri de douleur, d’impuissance…[…] Donc le sort s’est accompli et trois mille personnes ont été tuées. […] Je suis allée sur la plage en Calabre et avec un bâton pour décharger toute ma rage j’ai fait des marques sur le sable pendant toute une journée. […] Le jour d’après je suis retournée sur la plage, elle était vierge, il semblait que seul le H apparaissait, une lettre muette dans notre langue… J’ai parlé de protestation vague, parce qu’écrire sur le sable m’a rendu une lettre muette… ». [6] Dadamaino se tient loin des partis, des favoritismes politiques, en ne faisant pas mystère de ses idées communistes. Pour cette raison, elle est loin de l’art pour le peuple. En 1978, suite à la lettre, elle transcrit les faits de la vie. Un journal illisible, où elle rassemble, collecte le pouls du monde, du microcosme au macrocosme… un microcosme qui se pose d’innombrables questions sur le sens de la vie, de l’histoire, si ensuite il y a un sens ; et s’il y a un sens, tenter de trouver un sens au non sens. Sur de larges feuilles ces papiers la ligne indéterminée, parle de l’infini. Dans les années 1980, elle réalise les Constellations dans lesquelles, encore une fois, le sujet est le signe, à travers une dimension empirique, comme dans une expérience scientifique. À partir de cet instant Dadamaino se dédie, toujours plus, à des œuvres liées à la connaissance. L’analyse du monde est le propos central des dernières œuvres Il Movimento delle cose, calques transparents se déployant sous la forme d’oscillation aérienne. C’est par l’usage, le maniement, le geste court, scandé, rythmé par le souffle, que Dadamaino accède au monde originel à être dans le monde. Le signe, l’espace, le signe à nouveau sont des interrogations méditatives sur l’origine et posent la question du temps, du dévoilement de la présence de l’être au monde. Depuis les premiers Volumi, elle ne fait que dévoiler la même syntaxe, la même exigence à être dans le monde. Il émerge à travers toute son œuvre la même question qui rattache la subjectivité à la finitude, la théorie de la connaissance à l’ontologie, la vérité à l’être. »
Natacha Carron
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